Anésthésies du langage

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Virgil21
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Anésthésies du langage

Message par Virgil21 »

L'une des interview que j'aime le plus réécouter


"Les mots sont plus fort que nous, les mots avec lesquels on pactisent, les milieux dans lesquels on s'inscrit, sont plus forts que nous".
Ce n'est que mon avis, mais je trouve cette phrase magistrale. Tu voit le sérieux du mec quoi.

Bon je reconnais aussi être sensible à tout ce qu'il dit avant, mais le fait de pointer la distinction entre message et support de message, dire que ce dernier parle à notre place, c'est mettre à nue une des racines de la liberté.
Sous entendus : le conformisme lexicologique, la répétition de mêmes schémas linguistiques et expressifs pour des raisons éducatives ou psychiques (mimétismes par exemple) est un frein velouteux (confortable, de faible intensité) voir même parfois une tactique contre la liberté objective de penser hors de certains cadres(freine de haute intensité).

J'aime chez lui sa capacité à pouvoir faire de la vulgarisation brute (décortiquer et exposer le réel) comme de la "vulgarisation" ou plutôt de la diffusion intuitive (donner à faire comprendre, les clefs, plutôt que juste donner une compréhension, une conclusion). Bref la nuance entre donner à réfléchir et donner une réflexion terminale(c'est là qu'on reconnais les bons).

Il y à eut par le passé (encore chaud) un vocable spécifique qui à impacter massivement le monde. Influençant les consciences (et les inconscients) au point de s'incruster jusque dans les interjections et expressions du quotidien, à coup de "Oh mon dieu", "Sacrebleu", "Tenter le diable, "Grâce à dieu", "Faire les louanges",.. etc
Bref un vocable qui "enrichit" une langue tout en formatant les esprits, que vous soyez croyants.. ou non.
Emanciper une société d'un tel vocable c'est lui donner plus de libertés, offrir un choix plus sain (et non "saint"), plus honnête entre celui de croire ou de ne pas croire.
Les mots structurants nos pensées (et réciproquement), influencer le vocabulaire reviens à influencer ces dernières (ou du moins chercher à le faire).

Ce qu'on appellerais de nos jours la prise de contrôle de la dialectique Un phénomène qui s'est bien développé depuis quelques années.
Avec les Anglicismes abusifs, les néologismes comme les expressions qui en découlent, les vocabulaires "de nîches" (très spécifiques) détournés (bancaire, marketing, technocratique, etc). Que l'on prends soin de mixer (en franglais souvent) avec le plus de concisions possibles dans le but de faire croire au cerveau que gagné du temps, y compris sur une syllabe, ou grâce à un maximum d'abréviations serait efficace ou "sexy".
Exemples : "Générer du lead, du view", "simplifier ou upgrader des process ASAP", "benchmarker via du contenus scrollable", "avoir un accès Hub fast".. etc

Après les influences sur la matrice intellectuelle, on à aujourd'hui (à la place? en plus?) une volonté, un travail de sape pour raccourcir("cut"), supprimer, désubjectiver (comme le dit Deneault) cette dernière et les raisonnements susceptibles d'en sortir. Bref faire perdre toujours plus de sens ce qui reviens à perdre toujours plus de libertés au bout du compte.
George Orwell n'a qu'à bien se tenir, notre époque de "modernité disruptive" à des outils technologiques et de marketing optimisés qui pourraient bien "transcender" sa Novlangue au risque un jour de l'a faire passer pour du sucre.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Novlangue
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choooj
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Re: Anésthésies du langage

Message par choooj »

J'ai écouté toute la vidéo. Je suis tout aussi impressionnée par sa capacité à décrire de façon limpide des idées complexes.

Toutefois à peu près dans la 2nde moitié du speech (il faudrait que je repasse en revue la vidéo pour argumenter en détail) il y'a des "messages subliminaux" qu'il assène sans détailler son cheminement de pensée. Un message de type complotiste où des méchants au pouvoir tentent de mener un putsch pour nous laver le cerveau et y inséminer leur propagande.
Pour moi il s'agit d'un autre mécanisme. Je ne suis pas sociologue ou philosophe, ni même économiste. Je remarque simplement qu'en toute époque et discipline, il se forme des courants de pensées et de pratiques dominants. Les individus adaptés, qui se sentent à l'aise dans ces modes de pensée et de pratique, et de surcroît ceux qui profitent de la situation (pouvoir matériel, pouvoir décisionnel) vont exploiter tous les filons pour préserver le contexte qui leur est favorable. Regarde comme la religion-politique a dominé les peuples, domine encore certains territoires et même fait un retour dans des états qui étaient jusque là des modèles progressistes. Il n'est pas nouveau non plus que celui qui maîtrise l'éloquence a un pouvoir plus grand sur son auditoire. Les guerres d'influence ont existé bien avant la naissance de la rhétorique. Cette dernière fut un outil permettant d'accroître un peu plus les chances d'être victorieux. Tout comme un conteur arrive à nous subjuguer et nous amener dans un état second, tout comme l'art aussi modifie le fonctionnement de notre cerveau (faut que je poste le lien d'une conférence TED où en introduction l'orateur montre des cliqués IRM), nous pouvons être manipulés par un argumentaire. Biais cognitifs, l'humain est faible.

Mais en même temps que notre langue s'imprègne de nos pratiques socioculturelles, les expressions perdent aussi leur sens premier. C'est vrai ça putain :lol: même des athées peuvent crier "mon dieu !"

Si on pouvait visualiser ces mouvements, ça ressemblerait à des volutes, des turbulences autour de flux laminaires, des diffusions de couleur, des interférences constructives/destructives...
Bon je ne suis pas inquiète tant qu'il existe un système éducatif de qualité, public et inclusif. C'est dans ce creuset là (jusqu'au bac) que tout s'est joué pour moi : j'y ai bénéficié d'un apprentissage culturel (plus que quelques restes aujourd'hui :lol: ), d'un exercice de mes capacités d'observation, de sens critique et d'expression (ça par contre je l'ai musclé au fil du temps). Je ne suis pas inquiète tant que les tous les courants bienveillants, constructifs et progressistes ont la capacité de s'exprimer et de toucher un large public (vive YouTube, vive les chaînes de vulgarisation, vive les forums et le partage d'expériences). Les mouvements populaires (nuit debout, zad, gilets jaunes) montrent que la dissidence peut s'organiser aussi et contrer le courant dominant. La situation actuelle montre aussi que les individus s'informent en marge du discours officiel. Que dès lors que les informations consultées sont comprises, semblent vraisemblables et coïncident avec leur perception intuitive, les gens s'unissent et agissent dans le même sens.
𝓔𝓼𝓽𝓸𝓶𝓪𝓺𝓾𝓮́𝓮, 𝓳𝓮 𝓶𝓮 𝓿𝓸𝓲𝓼 𝓭𝓲𝓼𝓹𝓪𝓻𝓪𝓲̂𝓽𝓻𝓮 ... 𝓺𝓾𝓮 𝓭𝓲𝓼-𝓳𝓮 ... 𝓮𝓻𝓻𝓮𝓻 !
𝓔𝓽 𝓳'𝓪𝓽𝓽𝓮𝓷𝓭𝓼 𝓺𝓾𝓮 𝓵𝓪 𝓻𝓮𝓲𝓷𝓮 𝓝𝓪𝓻𝓬𝓲𝓼𝓼𝓮 𝓿𝓲𝓮𝓷𝓷𝓮 𝓶𝓮 𝓭𝓮́𝓵𝓲𝓿𝓻𝓮𝓻 !
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Virgil21
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Re: Anésthésies du langage

Message par Virgil21 »

Bon je vais pas commenter le fait d'accuser de complotisme quelqu'un qui explique justement travailler sur le sujet. :|
Ni te demander de développer le "subliminal" qui ta dérangé car d'après ce que tu dis, je pense que tu évoques à la fois le détournement des cerveaux (à partir de 20min44 et l'infantilisation de la population (27min51).
Pour ta défense c'est vrai qu'il ne cite pas précisément de livres ou de travaux de chercheurs mais en fait une généralisation qui j'imagine, peux laisser laisser perplexe bon nombre de gens...

En revanche il explique en partie à partir de 21,.05 le mécanisme mis en place pour engendrer ce détournement du cerveau (ce que tu nomme "putsh pour laver le cerveau"). La suite de ton raisonnement qui n'est pas aberrant du tout et auquel j'aurais pu aussi adhérer il y à quelques années aurait pu être vrai..il y à 100 ans et avant.
En 1928 Edward Bernays (neveu de Sigmund Freud) à publié "Popaganda" dans lequel il traite de la manipulation de l'opinion via son subconscient. Chose qu'il à "étudier" avec Freud puis appliqué depuis 1917 environ.
L'ensemble de sa carrière et de ses travaux "d'apprentis psychanaliste" ont tellement servis (en Allemagne Nazi comme aux USA) qu'il est considéré comme le père de la propagande politique moderne, de l'industrie des relations publiques, du marketing moderne, et du consumérisme Américain.

https://fr.wikipedia.org/wiki/Edward_Bernays

Depuis 1 siècle maintenant ces processus sont utilisés, affinés et spécialisés par les capitaliste de hauts rangs à l'aide de psychologues et neurologues qui forment le haut des élites. Et cela touche logiquement les "méchants" politiques, les communicants et les gens du marketing.
Bernard Stiegler traite aussi du sujet en détail en expliquant que l'arme majeur de ces élites sont les industries culturelles. Industrie qui au passage n'ont jamais été aussi developpées de nos jours.
Ce n'est pas du complotisme, c'est la réalité nue, documentée et plus ou moins occultée et/ou déniée.
Paul Nizan fait aussi la critique de l'embrigadement des intellectuels de l'époque qui ont facilité l'adoption des masses aux valeurs morales et économiques de la bourgeoisie en tant qu'idéal. L'utilisation de la classe moyenne comme tampon social, la métamorphose de l'économie en science financière. bref il y a pas mal d'angles qui touchent au sujet.

Là ou je trouve ton texte intéressant c'est qu'il montre bien à quel point la propagande, le jeu sur notre subconscient, l'aveuglement induit ou auto-induit du conscient de chacun à été efficiente et est toujours relativement efficace. L'amour du censeur, la volonté de croire ce qui est facile, rassurant ou "mainstream" comme on dirait aujourd'hui n'est qu'un exemple.
Ce que tu décris je le vois en réalité comme de la "naturalisation" de processus psychique politiquement orientés (je ne fais que reprendre les mots de Deneault). L'argument du Darwinisme social tiens le temps de la comparaison de l'homme à l'animal. L'homme est certes un animal faible mais il est aussi un peu plus que sa... en théorie. :wink:
Après je trouve plus intéressant de comparer le langage à des racines formatrices et en mutations qu'a des volutes en "turbulence ou colorées" mais si tu veux..

Ce qu'il dit durant l'interview ou au travers de sa phrase conclusive ce n'est pas seulement que le langage est une question de fond et de forme (la rhétorique). Il dit que le langage en fonction des contextes, en plus d'agir sur la cognition, agit sur la non cognition, le subconscient, ce qu'on nommerais aussi le "feeling".
Que les mots permettent d'accéder au subconscient afin de le malaxer, de formater, au point de créer des reproductions de schéma mentaux un maximum standardisés. Tu peux voir cela comme un genre d'hypnose si tu veux, sauf que le conscient reste en éveil et qu'il se sent obligé de justifier "logiquement" son comportement ( de consumérisme par exemple) après coup. Pour garder une certaine illusion de liberté.
Bref il y à souvent manipulations (fortes influences) du conscient par le subconscient qui lui même à été orienté via du "langage émotionnel" institutionnalisé. Le parallèle avec l'art est ainsi des plus justes, ce dernier étant par essence du "langage émotionnel" (de l'accès direct au subconscient) et constituant potentiellement un superbe outil.


Sinon je trouve qu'une expression unique déviée de son sens premier, comme dans une interjection, n'est pas forcement un soucis..
Quand je dis "Bordel" ou "Oh putain" au lieu de "Mon dieu"le détournement du sens est aussi valable.
Ce qui me gène c'est la répétition de mots, (détournés ou non), originaire d'un même endroit culturel, d'une même ethnies sociologique et qui s'instaurent dans le langage communs de tous, plus ou moins consciemment, à la manière d'un virus.
Par exemple les "gros mots" au Québec sont d'origine religieuse afin de ridiculiser l'église.
Seulement garder un vocable religieux trop dense, c'est entretenir un vocable qui renvois à du concept métaphysique, du langage émotionnel passé ou présent, et cela même indirectement si le sens n'est plus même. Qui en France connais et/ou emplois encore le mot "Hostie" sérieux..? ^^
Bref c'est même pire que de l'influence pour les vocables du marketing ou autres car là en plus on fait faire des confusions à l'esprit qui utilise des mots que le subconscient "achète" car ils sont "plus courts et sentent le neuf" tandis que le conscient ne les comprends pas ou mal. Ce qui à donc pour effet d'anesthésier le langage et donc la pensée des gens.En particulier les subconscients les plus réceptifs, les plus friands d'émotions.

Des individus peuvent s'informer, s'organiser ou essayer d'agir (cf ZaD notre dame des landes) mais ce qui m'inquiète moi ce sont les masses.
Leurs poids surtout. Il est devenus tels qu'elles ont probablement un besoin empirique de la propagande, de vivre via leurs "perceptions intuitives orientées" pour déjà réussir à "exister", puis tenir entre elles et faire tenir le chateau de carte globalisé. Or les groupes d'individus subissent le poids des masses plus ou moins directement et tente le plu souvent de faire avec, de s'accommoder pour subir le "moins possible".
Est ce qu'un evenement exotique désastreux lui aussi globalisé, tel que le Covid19, pourrait permettre de faire changer les choses..?
Sur ce point je suis comme Stiegler, pas très optimiste.
Enfin, il reste l'éducation comme tu dit et.. l'espoir est humain...
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Vince27
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Re: Anésthésies du langage

Message par Vince27 »

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