J'ai parcouru les différents échanges du forum pendant un petit moment avant de me décider à sauter le pas. Ça risque d'être un peu long, je m'en excuse par avance. Il me semblait important d'apporter quelques éléments sur ma trajectoire afin d'éclairer mon point de vue et mon expérience.
Âgé maintenant de 30 ans, je n'ai jamais eu le moindre rapport sexuel ni la moindre relation sentimentale sérieuse (hormis quelques amourettes de collégien). Je précise que je ne ressens pas vraiment de vide ou de manque dans ma vie. J'ai toujours vécu comme ça et j'ai du mal à envisager autrement mon existence. Durant 99% de mon temps, je n'y pense tout simplement pas. Les propos qui suivent sont le condensé des 1% restant de crise existentielle qu'il m'arrive parfois de traverser comme en ce moment. C'est aussi pour retrouver ma tranquillité d'esprit que je rédige ces lignes.
Le point d'inflexion dans ma trajectoire se situe autour de mes 17 ans où j'ai décidé après une période un peu compliquée de me retirer temporairement du marché matrimonial afin de me réfugier dans la littérature et le travail scolaire. Jusque-là, je n'avais jamais eu l'impression d'être un garçon très différent des autres si ce n'est d'être un peu réservé sur le plan sentimental avec les filles.
Ce « renoncement » (selon le terme que j'employais à l'époque) a sans aucun doute contribué à m'amener vers de très très longues études. Ma vie étudiante s'est déroulée de manière particulièrement ascétique. J'ai développé une obsession du contrôle de mon temps, de mon corps et de mon alimentation assez fréquente dans les études type prépa. Durant toutes ces années, je n'ai cessé de définir ma situation amoureuse comme transitoire : « On verra ça après le master » puis « on verra ça après la thèse ».
Pourtant, force a été de constater au fil des années que la question de la sexualité creusait un gouffre de plus en plus béant entre le reste du monde et moi. On touche là à toutes les normes sociales qui font de la sexualité un passage obligé des relations amoureuses et définissent la masculinité par ses performances dans cet exercice. Or s'il est encore acceptable pour un homme d'être maladroit à 15 ans, cela devient franchement ridicule à 30. La sexualité constitue pour moi un sport ésotérique auquel je ne connais rien. Et comme j'ai besoin de contrôler ma vie et mon corps, je vois de moins en moins l'intérêt de prendre le risque de me faire humilier dans une pratique que je ne maîtrise pas. En revanche, il m'arrive parfois de me dire que je finirais peut être par rencontrer une personne compréhensive et patiente capable de m'accompagner dans cet apprentissage.
Au final, je me définissais il y a quelques semaines encore comme un hétéro cisgenre un peu bizarre qui a arrêté de vivre à l'âge de 17 ans ; comme un vieux garçon affublé de la sexualité d'un collégien dans les mauvais jours mais, le plus souvent, comme un intellectuel pur vivant dans sa tour d'ivoire au-dessus de ces basses considérations biologiques.
C'est complètement par hasard que je suis tombé sur la notion d'asexualité malgré ma familiarité avec la sociologie du genre. Je me suis rapidement rendu compte à la lecture des témoignages que je cochais la plupart des cases :
- Il m'arrive régulièrement de tomber amoureux de femmes sans aucune arrière-pensée sexuelle tout en sachant pertinemment que je m'imagine difficilement vivre en couple et que je m'enfuirais certainement en courant s'il commençait à se passer quelque chose entre nous. Ces relations finissent quasi systématiquement en amitié un peu ambiguë de mon côté. (Aromantisme ?)
- J'ai une activité sexuelle solitaire que je considère moins comme un plaisir que comme une mauvaise habitude (pour s'endormir, évacuer une bouffée de stress ou d'excitation). Un détail m'est apparu rétrospectivement significatif. Depuis mon adolescence, je me suis toujours formellement interdit de me caresser en pensant à l'un de mes crush. Elles étaient « sacrées » comme si ces deux sphères étaient radicalement séparées et que cette pratique était dégradante pour elles (personne ne donne son consentement pour figurer dans ces actes sexuels imaginaires).
- J'ai quelques fantasmes/pensées sexuelles que je n'ai aucune envie ou intention de réaliser. Certaines de ces rêveries sont mêmes devenues homosexuelles ces dernières années sur le mode du : « C'est peut-être moins compliqué avec des types inconnus ».
- Les coups d'un soir ne m'intéressent pas du tout. Je n'envisage pas la sexualité en dehors d'une relation amoureuse. C'est antinomique par rapport au point n°1 mais on ne gère pas toujours ses contradictions...
Et c'est dans le même temps une source d'inquiétude et de trouble. Ce qui est le plus déstabilisant pour moi, c'est que je n'avais jamais envisagé que ma situation puisse constituer une (non) orientation sexuelle à part entière. J'ai d'ailleurs toujours pas mal de doutes dans ma tête. Je sais que les A détestent ce genre de questions mais je ne peux m'empêcher de me les poser : comment puis-je être certain de ne pas être attiré par les relations sexuelles avec un tiers alors que je ne sais même pas ce que c'est ? N'est-ce pas simplement le produit d'une peur infondée, le fruit de toutes les contraintes hétéronormatives qui pèsent sur les rapports entre les hommes et les femmes ?
Derrière, c'est aussi une question d'irréversibilité qui est soulevée. Tant que la situation était définie comme un train manqué à l'adolescence, elle laissait ouverte une possibilité – plus ou moins illusoire – de changement. Si elle relève d'une forme d'asexualité et d'aromantisme, je risque fort d'avoir quitté une forme de solitude sociale pour en embrasser une autre beaucoup plus définitive.
En espérant que ce témoignage pourra être utile à certains et certaines. Encore désolé pour la longueur, étant extrêmement pudique quant à ma vie privée, je n'avais personne à qui confier ces remarques. Dans ce type de situation, on finit par cacher le fait de n'avoir rien à cacher...