A la recherche des racines de l'hétérosexualité

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Nastasia
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A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par Nastasia »

.

je ne connais pas du tout cet auteur, mais c'est sans doute un ouvrage intéressant à lire :



Louis-Georges Tin à la recherche des racines de l'hétérosexualité (source : Rue 89)


C’est à une "véritable révolution épistémologique" que nous invite Louis-Georges Tin dans ce livre qui rompt avec les conceptions essentialistes de l’hétérosexualité. Parce qu’elle était pensée comme relevant de "l’ordre de la Nature", un invariant jamais remis en cause, l’hétérosexualité a longtemps constitué un point aveugle de la recherche historique.

Historiciser l’hétérosexualité

Paradoxalement, c’est par le biais de l’histoire de l’homosexualité que la "question hétérosexuelle" en est venue à être posée. Parce qu’elles interrogent les normes sexuelles comme les rapports de genre pour en révéler l’historicité, les études gays et lesbiennes ont ouvert la voie à un questionnement des sexualités dites "normales".

Dans la lignée des travaux initiés aux Etats-Unis par Jonathan Katz, Louis-Georges Tin envisage ici l’hétérosexualité comme un construit, historiquement et socialement daté, dont il convient d’analyser les conditions d’émergence et d’acculturation.

Plus exactement, il entend prouver que "si la pratique hétérosexuelle est universelle, la culture hétérosexuelle, elle, ne l’est pas". Une comparaison lui permet d’éclairer cette affirmation a priori déroutante: si, dans toutes les sociétés humaines, il y a bien sûr des pratiques alimentaires, indispensables à la survie des individus, toutes les sociétés ne construisent pourtant pas une culture gastronomique, comme c’est le cas en France.

Prenant appui sur la littérature, la philosophie et l’histoire, l’auteur fait ainsi l’hypothèse que la "culture hétérosexuelle" émerge en Occident au début du XIIe siècle, avec la culture courtoise. Aujourd’hui dominante, elle a été elle-même dominée par des institutions comme l’Eglise (qui prône la chasteté), la noblesse (qui valorise l’homosocialité), et dans une moindre mesure la médecine (qui voit dans "l’amour fou" une forme de pathologie).

Relire ses classiques

Certains chapitres relèvent du tour de force. Le premier, sur la culture chevaleresque, revisite des interprétations déjà suggérées par Georges Duby ou Jacques le Goff, mais les éclaire d’un jour nouveau.

Par l’étude minutieuse de textes en apparence aussi connus que "La Chanson de Roland" ou "Lancelot du Lac", Louis-Georges Tin montre que, dans la société féodale, seules les amitiés masculines bénéficient d’une reconnaissance sociale et culturelle, qui se traduit notamment par l’exaltation des relations sentimentales entre hommes dans la chanson de geste avant l’émergence de la littérature courtoise.

Ce n’est que progressivement, par l’intermédiaire des troubadours et des trouvères, que les amours hétérosexuelles, sous la forme dissymétrique de l’amour du chevalier pour sa dame, s’affirment comme un modèle alternatif au modèle homosocial.

Le cas de Tristan et Yseult est à cet égard révélateur. Ce symbole de la culture hétérosexuelle peut en effet être lu comme le récit du conflit entre cultures chevaleresque et courtoise.

Dans les premières versions, la relation entre Tristan et son oncle, le roi, est centrale, comme dans tout roman de chevalerie. La passion que le jeune homme ressent pour Yseult, pourtant promise à son suzerain, est le résultat malheureux de l’absorption d’un philtre d’amour, une occurrence regrettable et accidentelle.

Dans les versions postérieures, le philtre disparaît, et c’est au premier regard, tout naturellement, que Tristan s’éprend d’Yseult…

Egalement victime de la popularité croissante des thématiques courtoises, la culture chrétienne multiplia les ruses pour en réduire l’influence, en vain. D’abord dénoncée, la culture hétérosexuelle fut progressivement intégrée à l’institution religieuse par le sacrement du mariage.

Ultime stratégie, la promotion de la poésie mariale apparaît comme un compromis entre amour spirituel et amour hétérosexuel. Incapable d’empêcher les poètes de chanter les charmes des jeunes filles, le clergé les autorisait à célébrer, à travers Marie, une figure féminine, mais comme privée de sexe et entièrement consacrée à l’amour divin.

Pour mieux imprégner l’esprit des fidèles, des paroles pieuses étaient plaquées sur les mélodies de chansons d’amour populaires, et les vers galants habilement spiritualisés. Le triomphe de la culture érotique hétérosexuelle n’en fut que retardé.

Les médecins échouèrent pareillement à pathologiser l’amour homme-femme. Démission de l’esprit face au corps, échauffement du foie, hystérie, érotomanie, hétérosexualité, désignent tour à tour les variantes d’une maladie d’amour qui alimente la chronique médicale et psychiatrique.

L’hétérosexuel, au début du XXe siècle, c’est celui qui éprouve une attirance morbide pour les personnes de l’autre sexe. Loin d’être dans la norme, il est, au même titre que l’homosexuel, un déviant.

La culture hétérosexuelle ne s’était pas moins imposée, depuis le XVIIe siècle, comme la culture dominante, dont le caractère "naturel" était non seulement constamment réaffirmé par l’ensemble des institutions sociales, mais exalté par l’immense majorité des productions culturelles.

Plein d’humour, toujours très clair, Louis-Georges Tin rend limpide ce qui aurait pu être jargonnant. A chaque tir, il fait mouche. Les préjugés volent en éclat, les lieux communs sont jetés cul par dessus tête.

Certes, le livre n’est pas sans défauts. L’analyse reste centrée sur la France. Des siècles entiers sont survolés. La culture des élites prend le pas sur les modes d’expression populaires. La littérature est privilégiée au détriment d’autres sources. Les exemples choisis renvoient presque systématiquement à l’homosexualité masculine, laissant le lesbianisme dans l’ombre.

Conscient de ces faiblesses, l’auteur assume ses choix: ouvrage programmatique, cette première histoire de la culture hétérosexuelle vise davantage à baliser un champ qu’à en creuser tous les sillons.

Ce faisant, elle n’en remplit pas moins son objectif premier: "Eveiller la culture hétérosexuelle à la conscience spéculaire de soi-même." On ne peut qu’espérer que d’autres viendront assister Louis-Georges Tin dans cette tâche ambitieuse, qui participe d’un vaste procès de dénaturalisation des normes engagé, depuis une trentaine d’années, par les sciences sociales et historiques.
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Guito14
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par Guito14 »

Très intéressant en effet ! Mais j'ai peur que ce livre, partisant, n'apporte pas la caution scientifique nécessaire à ouvrir un nouveau champ de recherche sociologique... un peu à l'instar du traité d'athéologie de Michel Onfray...

Mais c'est une première publication qui amène à réfléchir, je vais essayer de me le procurer. Merci pour l'info Nastasia !
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par galaad »

Nas, tu viens de me faire pensé a la période de la pax romana, bien plus libre sexuellement que maintenant. (enfin, avant que J.C y mette son grain de sable)

Là bas, le naturel, c'était de choisir entre l'une, l'autre, tute, ou aucune des sexualité (la pedosexualité n'étant pas réprimé)
Méfiez vous des seraphins, leur fureur peut être destructrice, si vous croisez l'un d'entre eux, il pourra vous sauver la vie ou vous tuer d'un revert de main...

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avocette
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par avocette »

Pour une fois, j'ai lu un long post... comme quoi, la présentation... mais aussi l'intérêt du texte !!
Merci Nas, c'est en plein dans nos réflexions actuelles !
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galaad
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par galaad »

Tien, j'avais pas fait gaffe à ça, le marrage chrétien inventé si tard...

Je croyais qu'ils l'avaient piqué à la culture celtique...
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Dexter
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par Dexter »

non non galaad le mariage est pas si vieux que ça.
j'ai aussi pensé aux Romain qui étaient très libre niveau sexualité

en tout cas c'est intéressant
La civilisation ne consiste pas à multiplier les besoins mais à les réduire volontairement, délibérément. Cela seul amène le vrai bonheur.
Nous vivons dans une culture où le superflu est devenu si nécessaire que nous sommes condamnés à toujours vivre dans le manque!
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par galaad »

Le marriage chrétien oui, le marriage était quand même célébrer dans la culture Celtique :D
Méfiez vous des seraphins, leur fureur peut être destructrice, si vous croisez l'un d'entre eux, il pourra vous sauver la vie ou vous tuer d'un revert de main...

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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par ~flor_vermelha~ »

Par l’étude minutieuse de textes en apparence aussi connus que "La Chanson de Roland" ou "Lancelot du Lac", Louis-Georges Tin montre que, dans la société féodale, seules les amitiés masculines bénéficient d’une reconnaissance sociale et culturelle, qui se traduit notamment par l’exaltation des relations sentimentales entre hommes dans la chanson de geste avant l’émergence de la littérature courtoise.
En lisant la chanson de Rolande j´ai eu l´impression que Roland et son meilleur ami (comment s´apelle-t-il? Olivier?) étaient amoureux l´un de l´autre. Et dans le "Roman d´Eneas" il y aussi deux hommes (j´ai oublié leurs noms et je ne sais non plus si ils aparaissent déjà dans l´épopée de Virgile) qui ne peuvent vivre l´un sans l´autre et meurent ensemble - la nuit avant la grande bataille, je crois. Quand j´ai lu ca j´ai pensé: "mais ce sont deux gays!"
Sur le point de la littérature courtoise je suis donc d´accord avec l´auteur.
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par miss.C »

Je trouve que c'est un sujet très interessant qui porte à réflexion et nous emmene à remettre en question les bases même de notre façon de percevoir la société. Par contre, je ne crois pas que l'époque de la Rome antique était si libérée sexuellement qu'on peut le croire... D'après ce que j'ai compris de mes cours d'histoire, les relations homosexuelles (du côté de l'homme uniquement) étaient très encouragées car l'on considérait la femme comme un objet de mépris, un être inférieur. Faire l'amour à une femme était donc un acte "répugnant" et "rabaissant" pour l'homme. Celui-ci préférait donc aller chercher son plaisir ailleurs que dans les bras d'une femme. Dans la même lignée, le viol de la femme n'était pas mal vu. En gros, la libertée sexuelle n'existait que d'un seul côté.
En vérité, plus je vais, et plus je suis tenté de croire qu'il n'y a que vous et moi dans le monde, qui valions quelque chose.

-Les liaisons dangereuses, Pierre Choderlos de Laclos.
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par Syd »

Hop, un livre de plus sur ma liste "A lire".

La question que je me pose, c'est moins à partir de quand ou comment l'hétérosexualité est devenue la norme que les conditions dans lesquelles les autres sexualités ont été progressivement ostracisées et dénoncées comme déviances, au point d'aboutir à l'actuelle hétéro-normatisation des esprits à laquelle peu échappent (par là, je veux dire qu'appartenir à une orientation différente ne préserve pas forcément de cet état d'esprit).
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Guillaume
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par Guillaume »

Personnellement, quand je lis ce texte, je ne sens pas de distinction entre hétérosexualité et hétéro-asexualité, l'auteur s'intéresse à l'Histoire de "l'inclinaison vers le sexe opposé" pourrait-on dire, qu'elle soit amoureuse ou sexuelle. Et ça n'enlève rien à sa qualité, hein, mais je ne pense pas qu'il envisage l'éventualité de l'asexualité, il reste dans la dichotomie hétérosexualité/homosexualité. Mais c'est intéressant, hein.
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par Nastasia »

Guillaume a écrit :je ne pense pas qu'il envisage l'éventualité de l'asexualité

moi non plus, je ne pense pas qu'il envisage l'asexualité dans son ouvrage, mais il n'y a pas que l'asexualité dans la vie :lol:

des tas de choses peuvent être intéressantes, même si ça ne parle pas de l'asexualité :mrgreen:
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Guillaume
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par Guillaume »

Ah mais je suis bien d'accord ! Je disais ça au cas où certains penseraient que "hétérosexualité" était forcément opposé à "hétéro-asexualité" ici, mais c'est vrai que c'est dans la partie "Philosophie et politique" que ce topic a été posté, donc j'aurais dû m'en douter qu'il n'y avait pas de rapport, au temps pour moi. :wink:
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Syd
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par Syd »

Nastasia a écrit :il n'y a pas que l'asexualité dans la vie
AH BON ?!? :shock:
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Nastasia
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Re: A la recherche des racines de l'hétérosexualité

Message par Nastasia »

Syd a écrit :
Nastasia a écrit :il n'y a pas que l'asexualité dans la vie
AH BON ?!? :shock:

je parle uniquement en ce qui me concerne bien sûr, mais je veux bien croire que pour d'autres, il n'y a que ça :P

comme tu l'as si bien dit l'autre jour il faut de tout pour faire un monde :o
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